L’électromobilité : un changement révolutionnaire

L'avènement de l'électromobilité aura un effet perturbateur sur les modèles économiques de l'industrie automobile. Elle transformera également les modes de consommation, la façon dont nous nous déplaçons et les politiques publiques liées à l'espace urbain et à la préservation de l'environnement.


Au début du XXe siècle, l'industrie automobile a provoqué une profonde transformation des relations productives et sociales, ainsi que de l'environnement urbain. Pensez-vous que la "révolution automobile" dont vous parlez dans votre livre aura un impact similaire ?

Oui, bien sûr. Nous pouvons être sûrs d'une chose : l'évolution vers l'électromobilité sera une révolution. En fait, si l'on tient compte de multiples facteurs énergétiques, environnementaux, socio-économiques, politiques et technologiques, ainsi que du contexte de transformation sociale, qui va bien au-delà de l'industrie automobile, on peut dire que nous vivons déjà une nouvelle révolution automobile.

Une chose est claire : il s'agit avant tout d'une innovation technologique radicale (par exemple, les voitures sans conducteur ou les véhicules autonomes). L'industrie automobile connaît une profonde transformation : de nouveaux types de véhicules arrivent, offrant des caractéristiques et des usages qui rompent avec le modèle traditionnel. La nature même de la mobilité est en train de changer. Une relation différente est en train d'émerger entre les utilisateurs et les voitures (les utilisateurs préfèrent partager les voitures, ils choisissent le covoiturage) qui façonne l'électromobilité et un nouvel écosystème dans la ville, c'est-à-dire la ville connectée.

La mobilité est au cœur d'un changement profond de notre société. Ce qu'il faut comprendre, c'est que la voiture est une composante de la mobilité 2.0.

La voiture devient un élément de mobilité avec lequel les utilisateurs "font plus que se déplacer". Il n'est plus un simple moyen de transport : il fait partie d'une mobilité interactive et, à ce titre, il favorise une relation spécifique entre le conducteur, l'espace et un réseau d'information et de communication.

Quel impact le nouveau paradigme de l'électromobilité devrait-il avoir sur les modèles commerciaux de l'industrie automobile ?

Pour l'industrie automobile mondiale, le premier impact est socio-économique. Elle devra coopérer avec de nouveaux acteurs comme Google, avec des entreprises de télécommunications, avec des assureurs et avec des start-up (comme Navya et Easy Mile, qui proposent des ferries autonomes). Les constructeurs automobiles sont obligés d'évaluer leurs propres compétences et de développer de nouvelles stratégies de réduction des coûts et de marketing qui répondent aux décisions d'achat des consommateurs. Les technologies devenant de plus en plus complexes et ayant des cycles de vie plus courts, il semble peu probable qu'un seul constructeur automobile dispose des ressources financières et de l'expertise nécessaires pour prendre la tête du mouvement.

Les fournisseurs de mobilité chercheront des moyens d'apporter une valeur ajoutée et leurs propositions auront un impact profond sur l'avenir : de nouveaux matériaux, composants, véhicules et services verront le jour ; de nouveaux acteurs remodèleront la chaîne de valeur et séduiront les clients de leurs concurrents, mettant ainsi au défi les équipementiers avec des produits et services différents. Le consommateur lui-même fera partie de la chaîne de valeur et deviendra un prosommateur (producteur et consommateur). Dans le même temps, la mobilité durable sera renforcée et proposera des réponses aux défis systémiques et aux externalités auxquels nos sociétés sont confrontées.

L'industrie automobile devra également repenser ses modèles commerciaux et adapter ses stratégies à une nouvelle vision des transports publics et privés (transport à la demande, paiement à la consommation et transport public autonome ne sont que quelques alternatives). Les stratégies traditionnelles des constructeurs - oscillant entre concurrence et coopération - sont dépassées ; le secteur automobile doit s'adapter à un écosystème dont l'épicentre sera la voiture intelligente et autonome. Nous assistons à un bouleversement du secteur, et l'une des caractéristiques de ce changement est l'émergence de stratégies coopératives.

Quel rôle jouent la connectivité et les entreprises technologiques comme Google et Amazon dans le nouveau paradigme ?

Google et Apple sont les pionniers de la conception de voitures sans conducteur, de grandes entreprises technologiques. Mais aujourd'hui, il existe aussi des entreprises qui sont des puissances financières, comme Amazon et Alibaba. Dans le nouveau paradigme de l'électromobilité, ils seront de sérieux concurrents de l'industrie automobile. Ils auront également pour rôle de créer ou de développer le pouvoir de contrôler la mobilité des utilisateurs. Il s'agit d'une nouvelle ère dans laquelle la création de valeur est alimentée par les relations entre les partenaires d'un même écosystème d'innovation, mais aussi par des alliances avec des acteurs extérieurs à l'industrie automobile. Cette imbrication des entreprises sera-t-elle payante pour tous à long terme ?

Comment définiriez-vous le paradigme classique de la relation individuelle et sociale avec les voitures ?

Dans le paradigme classique, les conducteurs avaient une relation spécifique avec leur voiture. La voiture projetait une image de pouvoir, de liberté, d'ascension sociale et de propriété. Pendant un siècle, les fondements techniques de l'automobile ont peu évolué. Les véhicules étaient produits en masse dans les pays de la Triade (États-Unis, Europe occidentale et Japon) et constituaient un élément fondamental de la réussite sociale par la mobilité personnelle. L'automobile était un objet de reconnaissance sociale et de valeur qu'il fallait posséder. Cette image positive s'accompagnait de l'idée de plaisir et de liberté personnelle, mais elle a complètement changé en raison de la prise de conscience des inconvénients que la voiture apporte avec elle (trafic, pollution, bruit et dommages écologiques).

BlaBlaCar, Lyft et Uber changent notre façon d'utiliser la voiture. Comment l'économie du partage va-t-elle influencer notre façon de nous transporter ?

Je pense que l'économie du partage sera un modèle pour les transports publics et privés. C'est une tendance visible pour toutes les économies et pour tous les usagers urbains. Nous allons certainement passer de la possession d'une voiture à son utilisation. Le modèle économique du transport multimodal inclut de plus en plus de covoiturage, ce qui encourage une mobilité plus durable et collaborative. Différentes études semblent converger vers la conclusion suivante : le nombre de voitures partagées va augmenter de manière significative dans les années à venir. Nous voyons cette modalité émerger sur la plateforme d'une communauté numérique qui gère les liens directs entre les propriétaires de voitures et les utilisateurs.

Comment la voiture sera-t-elle intégrée aux autres moyens de communication et de transport ?

À l'avenir, les villes seront connectées et tous les modes de transport, y compris la voiture, le seront aussi. Dans les pays développés, certains des véhicules vendus aujourd'hui ont déjà une autonomie de niveau 3, c'est-à-dire qu'ils sont équipés d'une caméra de recul, d'un freinage automatique et d'une vitesse de croisière (selon la classification internationale de la Society of Automotive Engineers). La voiture connectée sera une voiture qui communiquera avec d'autres voitures connectées. L'un des avantages est qu'il y aura plus de sécurité et moins d'accidents. En outre, la mobilité se diversifie pour devenir multimodale (les gens passent de la voiture au train, au train, à la bicyclette, à une autre voiture, et ainsi de suite). Ceci est rendu possible par les technologies de l'information : le transport intelligent dans un contexte de démobilisation. L'idée du couple voiture-mobilité n'est plus valable car nous vivons déjà dans une société tellement mobile qu'elle oblige à la dé-mobilité (par exemple, à ne pas se déplacer) : le travail devient du télétravail, l'éducation prend la forme d'un enseignement à distance, les réunions ont lieu sur les réseaux sociaux.

Quel impact le nouveau paradigme de l'électromobilité aura-t-il sur l'environnement urbain ? Que faut-il entendre par "villes intelligentes" ?

Ce qu'il faut entendre par villes intelligentes, c'est une économie durable (les villes intelligentes sont indissociables d'un réseau intelligent), un environnement vert, électrique et donc non polluant. La ville connectée permet à tous ses habitants de gagner du temps de transport, de vivre plus confortablement et d'accéder à de nouveaux services. L'émergence des villes intelligentes sera potentiellement disruptive ; elle impliquera des remises en cause des voitures à combustion interne, de nouvelles formes de concurrence impliquant d'autres acteurs (technologies de l'information, services partagés, services publics, etc.) et la diversification des modèles économiques (utilisation du big data, moins de propriété, plus et de meilleurs services). La ville intelligente est aussi un nouveau système, avec une conception urbaine et une organisation sociale différentes (davantage de villes moyennes et des distances plus courtes pour aller travailler, afin de réduire les flux). Il s'agit de gérer les capacités des véhicules et des infrastructures, et de diffuser les innovations incrémentales (véhicules électriques) et disruptives (véhicules autonomes) à moyen et long terme.

Aujourd'hui, la moitié de la population mondiale vit dans des villes, et les Nations unies estiment que d'ici 2050, cette proportion passera à 68 %.


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